dimanche 3 mai 2015

Que ma presse est libre!

 Que ma presse est libre !
Windhoek pour beaucoup de ceux qui fréquentent les débits de boisson, c’est le nom d’une bière, et c’est vrai. Mais c’est également la capitale d’un pays africain, la Namibie. On ne le dit pas souvent, mais la journée mondiale de la presse célébrée hier, y a pris racine. En effet, du 29 au 3 mai 1991 se tint dans cette ville, un séminaire sur le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste. Ce séminaire organisé par l’UNESCO et l’ONU (encore que les deux se confondent), déboucha le 3 mai sur une déclaration en 19 points. Curieusement deux ans plus tard, le 20 décembre 1993, par la Décision 48/432 l’Assemblée générale des nations Unies proclama le jour anniversaire de la déclaration de Windhoek, Journée mondiale de la presse.
En ce jour donc, il est question de célébrer les principes fondamentaux de la liberté de la presse, d’évaluer la liberté de la presse, de défendre les médias des attaques contre leur indépendance et de se souvenir des journalistes tués dans l’exercice de leur métier. Revisitons pour notre pays, si vous en avez convenance, les axes séculiers de cet événement mondial.
D’abord les principes fondamentaux de la liberté de la presse. En réalité la liberté de la presse n’est qu’une excroissance de la liberté d’expression. Celle-ci bénéficie sans conteste d’une remarquable protection au Cameroun. Notre pays a en effet adhéré à toutes les conventions internationales y afférentes : la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en son article 19, le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en son article 19 (c’est une coïncidence), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 en son article 9.  Du point de vue strictement interne, la liberté d’expression et son corollaire la liberté de presse explicitement énoncée sont  proclamées  par une batterie de textes : la constitution dans son préambule,  la loi du 19 décembre 1990 sur la communication sociale, sa version révisée du 4 janvier 1996 qui supprime la censure administrative donnant ainsi du sens à une résolution des états généraux de la communication de 1994, le décret du 3 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation  des entreprises privées de communication audiovisuelle, le décret du 9 décembre 2002 fixant les modalités de délivrance de la carte de presse, et puis le dernier né mais non des moindres, the last but not the least pour les plus bilingues, la loi tant controversée du 1er avril  2015, peut-être que ses problèmes viennent de son jour de naissance, elle régit l’activité  audiovisuelle au Cameroun. Encore qu’on pourrait y ajouter la convention collective des professionnels de la presse du 12 novembre 2008. Avec un tel encombrement textuel, bien malin est celui qui dirait que la liberté de la presse ne se porte pas comme un charme. Pour emprunter à la santé d’un Chef d’Etat africain. Et pourtant…
De toute façon, les principes sont posés : il y a en théorie la liberté de rechercher les informations, ce qui implique pour les journalistes la liberté d’accès aux sources ainsi que la transparence et la protection de celles-ci, la liberté de diffuser, donc le droit pour les journalistes de divulguer les informations collectées, et la liberté de recevoir les informations qui implique pour les auditeurs et les téléspectateurs que nous sommes, c’est-à-dire  tous les citoyens, le « right to know », le droit d’être au courant. Alors comme nous y invitait la journée d’hier, évaluons tout ceci. L’évaluation en analyse, est d’entendement polysémique, mais l’approche qui nous semble la plus pertinente, est celle consistant à porter un jugement  sur le chemin parcouru en rapport avec  l’objectif fixé. Cet objectif au-delà de l’information, de l’éducation et de la reliance sociale était surtout de contrôler l’action gouvernementale.
A la vérité à l’encombrement de la législation s’indexe celui des médias. Il y en a à foison. Issa Tchiroma Bakari lui-même en visite à Douala a été incapable d’en faire un décompte exact. Tous ses chiffres étaient relatifs : plus de 600 journaux, plus de cent radios, une dizaine de télévisions, une demi-douzaine de cyber journaux ou encore environ 500 télé distributeurs.  Donc la liberté de la presse a, à n’en point douter, le mérite du nombre. Mais cela garantit-il la viabilité de la presse ? Difficile de répondre par oui. Car derrière la parure du tout et n’importe quoi, se trouve les subtiles, insoupçonnées  et insidieuses pesanteurs à la liberté de la presse.
La propagation de fausses nouvelles est une infraction constitutive du délit d’atteinte à l’ordre public. Elle est réprimée par l’article 240 du Code pénal. Il s’agit de nouvelles publiées par quelques moyens dont l’auteur ne peut soit en rapporter la vérité, soit justifier qu’il avait de bonnes raisons de croire à la vérité de celles-ci. Vous l’avez compris c’est l’une de ces infractions-bateau dont seul le juge a la finesse de la qualification. Sévérin TCHOUNKEU le Patron d’Equinoxe et DP de la Nouvelle Expression doit en avoir un vivace souvenir lui dont le canard publia un 31 mars 2000, un poisson d’avril qui donna lieu à une information judiciaire. Que dire alors de l’outrage à corps constitués et aux administrations publiques condamné par l’article 154 nouveau du code pénal ? ou de l’outrage à Président de la république condamné par l’article 152 ? D’ailleurs les moins jeunes d’entre nous se souviennent que dans une lettre ouverte publiée en décembre 1990 dans le journal Le Messager, un certain Célestin MONGA osa traiter Paul BIYA de prétentieux à propos d’un discours prononcé par celui-ci. Dans ce discours, le Président s’étant un peu abandonné à l’auto-gloriole déclarait je le cite «  je vous ai apporté la démocratie ». Pour s’être permis de fustiger la raideur infatuée d’un tel plaidoyer pro-domo, sieur MONGA dut comparaitre en audience correctionnelle le 10 janvier 2011 pour outrage à Chef de l’Etat.
En clair la lecture des textes législatifs et règlementaires sur la presse révèle une impressionnante machine répressive. Pour la seule loi de 1990, le tiers des 90 articles est consacré à la poursuite et à la répression des infractions commises par voie de presse. Cela va de l’article 60 à l’article 87 soit 27 articles dont l’énoncé commence généralement par la formule « est puni d’une amende et d’une pénalité… »
Analysant en outre le décret du 3 avril 2000 sur la libéralisation de la presse audiovisuelle, l’on découvre que le coût de la licence va jusqu’à 50 millions pour une radio et 100 millions pour une télévision. C’est dire à quel point c’est incitatif…
Que dire alors des fonctionnaires de la CRTV et de Cameroon tribune ? Eux qui cultivent si bien le mythe du tout va bien, célébrant au quotidien les victoires épiques du gouvernement dans un culte d’adoration qui les contraint hélas à la dissimulation des faits et au travestissement de la vérité ?
A ce joli tableau ajoutez toutes ces radios et télés pirates auxquelles  la gouvernance par embuscade interdit le sésame appelé licence, et n’oubliez surtout pas l’indigence criarde que la ridicule charité de l’aide à la presse privée ne jugulera jamais, vous obtenez une presse tellement libre de dire qu’elle ne l’est pas !


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