Que ma presse est libre !
Windhoek
pour beaucoup de ceux qui fréquentent les débits de boisson, c’est le nom d’une
bière, et c’est vrai. Mais c’est également la capitale d’un pays africain, la Namibie.
On ne le dit pas souvent, mais la journée mondiale de la presse célébrée hier,
y a pris racine. En effet, du 29 au 3 mai 1991 se tint dans cette ville, un
séminaire sur le développement d’une presse africaine indépendante et
pluraliste. Ce séminaire organisé par l’UNESCO et l’ONU (encore que les deux se
confondent), déboucha le 3 mai sur une déclaration en 19 points. Curieusement deux
ans plus tard, le 20 décembre 1993, par la Décision 48/432 l’Assemblée générale
des nations Unies proclama le jour anniversaire de la déclaration de Windhoek,
Journée mondiale de la presse.
En
ce jour donc, il est question de célébrer les principes fondamentaux de la
liberté de la presse, d’évaluer la liberté de la presse, de défendre les médias
des attaques contre leur indépendance et de se souvenir des journalistes tués
dans l’exercice de leur métier. Revisitons pour notre pays, si vous en avez
convenance, les axes séculiers de cet événement mondial.
D’abord
les principes fondamentaux de la liberté de la presse. En réalité la liberté de
la presse n’est qu’une excroissance de la liberté d’expression. Celle-ci
bénéficie sans conteste d’une remarquable protection au Cameroun. Notre pays a
en effet adhéré à toutes les conventions internationales y afférentes : la
déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en son article 19, le
pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en son
article 19 (c’est une coïncidence), la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples de 1981 en son article 9. Du point de vue strictement interne, la
liberté d’expression et son corollaire la liberté de presse explicitement
énoncée sont proclamées par une batterie de textes : la
constitution dans son préambule, la loi
du 19 décembre 1990 sur la communication sociale, sa version révisée du 4
janvier 1996 qui supprime la censure administrative donnant ainsi du sens à une
résolution des états généraux de la communication de 1994, le décret du 3 avril
2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication
audiovisuelle, le décret du 9 décembre 2002 fixant les modalités de délivrance
de la carte de presse, et puis le dernier né mais non des moindres, the last
but not the least pour les plus bilingues, la loi tant controversée du 1er
avril 2015, peut-être que ses problèmes
viennent de son jour de naissance, elle régit l’activité audiovisuelle au Cameroun. Encore qu’on
pourrait y ajouter la convention collective des professionnels de la presse du
12 novembre 2008. Avec un tel encombrement textuel, bien malin est celui qui
dirait que la liberté de la presse ne se porte pas comme un charme. Pour emprunter
à la santé d’un Chef d’Etat africain. Et pourtant…
De
toute façon, les principes sont posés : il y a en théorie la liberté de
rechercher les informations, ce qui implique pour les journalistes la liberté d’accès
aux sources ainsi que la transparence et la protection de celles-ci, la liberté
de diffuser, donc le droit pour les journalistes de divulguer les informations
collectées, et la liberté de recevoir les informations qui implique pour les
auditeurs et les téléspectateurs que nous sommes, c’est-à-dire tous les citoyens, le « right to know »,
le droit d’être au courant. Alors comme nous y invitait la journée d’hier,
évaluons tout ceci. L’évaluation en analyse, est d’entendement polysémique,
mais l’approche qui nous semble la plus pertinente, est celle consistant à
porter un jugement sur le chemin
parcouru en rapport avec l’objectif
fixé. Cet objectif au-delà de l’information, de l’éducation et de la reliance
sociale était surtout de contrôler l’action gouvernementale.
A
la vérité à l’encombrement de la législation s’indexe celui des médias. Il y en
a à foison. Issa Tchiroma Bakari lui-même en visite à Douala a été incapable d’en
faire un décompte exact. Tous ses chiffres étaient relatifs : plus de 600
journaux, plus de cent radios, une dizaine de télévisions, une demi-douzaine de
cyber journaux ou encore environ 500 télé distributeurs. Donc la liberté de la presse a, à n’en point
douter, le mérite du nombre. Mais cela garantit-il la viabilité de la presse ?
Difficile de répondre par oui. Car derrière la parure du tout et n’importe quoi,
se trouve les subtiles, insoupçonnées et
insidieuses pesanteurs à la liberté de la presse.
La
propagation de fausses nouvelles est une infraction constitutive du délit d’atteinte
à l’ordre public. Elle est réprimée par l’article 240 du Code pénal. Il s’agit
de nouvelles publiées par quelques moyens dont l’auteur ne peut soit en
rapporter la vérité, soit justifier qu’il avait de bonnes raisons de croire à
la vérité de celles-ci. Vous l’avez compris c’est l’une de ces infractions-bateau
dont seul le juge a la finesse de la qualification. Sévérin TCHOUNKEU le Patron
d’Equinoxe et DP de la Nouvelle Expression doit en avoir un vivace souvenir lui
dont le canard publia un 31 mars 2000, un poisson d’avril qui donna lieu à une
information judiciaire. Que dire alors de l’outrage à corps constitués et aux
administrations publiques condamné par l’article 154 nouveau du code pénal ?
ou de l’outrage à Président de la république condamné par l’article 152 ?
D’ailleurs les moins jeunes d’entre nous se souviennent que dans une lettre
ouverte publiée en décembre 1990 dans le journal Le Messager, un certain
Célestin MONGA osa traiter Paul BIYA de prétentieux à propos d’un discours
prononcé par celui-ci. Dans ce discours, le Président s’étant un peu abandonné
à l’auto-gloriole déclarait je le cite « je vous ai apporté la démocratie ».
Pour s’être permis de fustiger la raideur infatuée d’un tel plaidoyer pro-domo,
sieur MONGA dut comparaitre en audience correctionnelle le 10 janvier 2011 pour
outrage à Chef de l’Etat.
En
clair la lecture des textes législatifs et règlementaires sur la presse révèle
une impressionnante machine répressive. Pour la seule loi de 1990, le tiers des
90 articles est consacré à la poursuite et à la répression des infractions commises
par voie de presse. Cela va de l’article 60 à l’article 87 soit 27 articles
dont l’énoncé commence généralement par la formule « est puni d’une amende
et d’une pénalité… »
Analysant
en outre le décret du 3 avril 2000 sur la libéralisation de la presse
audiovisuelle, l’on découvre que le coût de la licence va jusqu’à 50 millions pour
une radio et 100 millions pour une télévision. C’est dire à quel point c’est
incitatif…
Que
dire alors des fonctionnaires de la CRTV et de Cameroon tribune ? Eux qui
cultivent si bien le mythe du tout va bien, célébrant au quotidien les
victoires épiques du gouvernement dans un culte d’adoration qui les contraint
hélas à la dissimulation des faits et au travestissement de la vérité ?
A
ce joli tableau ajoutez toutes ces radios et télés pirates auxquelles la gouvernance par embuscade interdit le
sésame appelé licence, et n’oubliez surtout pas l’indigence criarde que la
ridicule charité de l’aide à la presse privée ne jugulera jamais, vous obtenez
une presse tellement libre de dire qu’elle ne l’est pas !
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