samedi 9 mai 2015

A Madame FONING...

ENTERRONS LES MORTS, SAUVONS DES VIES !

L’espérance de vie au sud du sahara se situe à moins de 50 ans. Cela est  dû à n’en point douter, aux guerres, épidémies, pandémies et autres catastrophes. Mais bien souvent, tel un mauvais esprit dans un film d’horreur, la mort accueille à bras ouverts ses victimes là elles trouvent ultime  refuge croyant illusoirement hélas ! lui échapper. De Yaoundé à Gari Gombo en passant par  Douala et Moulvoudaye, l’hôpital public porte la stigmate devenue familière de « mouroir ». A priori, décéder à l’hôpital n’a rien d’étrange, il est su de tous qu’il y a des situations où la médecine reste impuissante. Mais trépasser faute de soins urgents adéquats ou de soins tout court, voilà ce qui interroge, au moment où nous proclamons fastueusement nos grandes réalisations et que nous enterrons nos « grands » morts.
 Le décès de la célèbre et trépignante femme politique et d’affaires Madame FONING – paix à son âme-  suite à un accident de circulation à quelques kilomètres de Yaoundé le 17 janvier 2015 a alimenté une  controverse légitime sur la négligence et l’incompétence médicales dont elle aurait fait l’objet en attente d’évacuation. On se demande donc pourquoi, les  « VIP » dans notre pays, que dis-je ? les « VPP » entendez « very presidential personnality », pour échapper à leurs propres hôpitaux dont ils vantent pourtant la quantité et la qualité dans les discours politiques, s’offrent constamment le privilège de l’ailleurs sanitaire. Ainsi, les annonces d’AVC ou d’autres malaises de hautes personnalités gouvernementales ou politiques sont généralement suivies de celles de leur évacuation vers des hôpitaux marocains ou sud-africains, quand la destination n’est pas européenne. Sauf que cette solution d’expatriation selon toute vraisemblance, non seulement elle permet de détabouïser facilement et sans pudeur l’état de santé de certains Présidents africains, mais également, reste largement tributaire  pour les amis des présidents, de la prise en charge médicale locale. Tenez, après Madame FONING, c’est le Général de Gendarmerie MAMBOU DEFFO qui, dit-on,  en attente d’un avion médicalisé pour son évacuation  succombe toujours en janvier 2015 à un AVC. C’est à se demander si son départ aurait pu y changer grand-chose. Les effets  d’une prise en charge urgente déficiente ne sont-ils pas dans bien des cas irréversibles ?
 Ces débats autour des décès des « gros bonnets » sont malheureusement l’arbre qui cache la forêt densifiée d’histoires insupportables de personnes « ordinaires », anonymes, qui dans les hôpitaux du Cameroun, trouvent la mort par milliers au quotidien  parce que incapables d’accéder aux soins médicaux de qualité.


Oui ! Le Cameroun fait le deuil d’une grande dame, mais l’hôpital camerounais où celle-ci a trouvé la mort, est gravement malade… Morceau choisi !
Le 25 décembre 2014 un jeune cadre d’appui en recrutement dans une Université d’Etat, est assis à même l’asphalte devant l’hôpital central de Yaoundé, le regard désespéré, pianotant frénétiquement sur son téléphone, tentant de joindre quelqu’un qui pourrait lui prêter 300 000 FCFA pour sauver son épouse et ses jumeaux. Il s’agit d’un accouchement qui se complique et aux urgences, même le saignement abondant de la jeune dame n’a pu résoudre le personnel médical  à donner du sens au serment d’hypocrate. Ce compatriote  réussira des heures plus tard à obtenir la somme requise pour la césarienne. Trop tard pour les jumeaux primipares. Cette scène se déroule devrais-je le rappeler, dans un hôpital dit « central » donc de référence, qui jouxte par ailleurs deux édifices importants : un Centre mère et enfant portant le nom de la Première dame du Cameroun-Chantal  BIYA dont on dit qu’elle se porte ces jours-ci comme un charme (vrai ou faux prions Dieu que ce soit vrai)  et un Centre national des Urgences récemment inauguré et dont la fière allure physique contraste avec sa dénomination inintelligible pour beaucoup, et son indigence technique. Car souvent dans notre pays ce n’est pas un hôpital qui manque. D’ailleurs la classification est fort séduisante. Elle  est à cinq paliers: les hôpitaux de 1ère catégorie que sont les hôpitaux généraux, ceux de 2ème catégorie que sont les hôpitaux centraux, ceux de 3ème catégorie que sont les hôpitaux régionaux et assimilés, ceux de 4ème catégorie que sont les hôpitaux de district et ceux de 5ème catégorie que sont les centres médicaux d’arrondissement auxquels il faut ajouter les centres de santé intégrés disséminés en zone rurale. 

Et le personnel alors ?
Au Cameroun le ratio professionnel de santé/population est de 0,63 pour 1000 habitants  contre 2,3  qui est la norme internationale, tandis qu’on compte 1 médecin pour 15 000 habitants.  Il n’ya point de doute sur l’insuffisance du personnel dont la quantité présente encore de réelles disparités avec les normes internationales. La justification se trouve certainement dans la formation qui présente un déficit de quantité mais également, et c’est le plus inquiétant, de qualité. Le nombre de médecins et d’infirmiers sortis des Ecoles de médecine annuellement reste étrangement bas. Cela est dû aux offres de formations encore limitées. Les rares Ecoles existantes ne pouvant accueillir qu’un nombre restreint d’étudiants. Encore que la sélection de ceux-ci fait l’objet dans certains cas de pratiques abjectes de corruption et de monnayage. Phénomène plutôt généralisé dans les concours publics au Cameroun, l’achat des places n’épargne évidemment pas le concours de la faculté de Médecine et de Sciences Biomédicales dont le scandale ne tardera pas à prendre le relai de celui encore retentissant de l’IRIC que même l’affaire du photomontage et la phénoménale annonce de la maladie  du Président ne nous font pas oublier. Fléau qui, conjugué à la politique mystique d’équilibre régional, compromet dangereusement le mérite dans un secteur aussi sensible, jetant  un sérieux doute sur la compétence des produits de cette Ecole.
 Bien plus, l’ouverture de l’enseignement supérieur au secteur privé depuis quelques années, a favorisé la création de plusieurs instituts de médecine aux capacités de formation douteuses et à vocation essentiellement  mercantiliste, ce qui a obligé il ya peu de temps, un écrémage par les autorités n’ayant laissé subsisté que quelques-uns d’entre eux, répondant aux standards.  Néanmoins ce contexte désastreux de formation a sérieusement entamé dans notre pays, la crédibilité des personnels formés. A un tel point que certains médecins déconseillent eux-mêmes certains de leurs collègues aux patients, conscients de leur compétence ou incompétence réelle. Du coup on ne compte plus le nombre de victimes de cette catastrophe organisée. Cela justifie certainement en partie pourquoi les élites politiques et administratives affichent cette propension à s’expatrier pour recevoir des soins…Ne me soupçonnez surtout pas de vouloir parler du Président !

En un mot comme en mille, les hôpitaux du Cameroun font face à des maux génériques : manque d’écoute et de communication dans la relation soignant-malade, recrutement inconséquent d’un personnel parfois non qualifié, mauvaise organisation des soins et particulièrement des urgences, manque d’hygiène, équipements défectueux, absence de certains médicaments essentiels au lit du malade, limite de la maintenance hospitalière, absentéisme, retard, erreur médicale etc.
 Il est certainement temps de susciter un débat qui permettra aux patients qui fréquentent nos hôpitaux d’être bien accueillis, de bénéficier de l’écoute nécessaire de la part d’un personnel au professionnalisme éprouvé et d’avoir des soins de qualité. Sans quoi même des évacuations médicales offertes aux privilégiés s’avèreront superfétatoires. Surtout dans un contexte où le défibrillateur demeure  un luxe. Or, 10 minutes de retard à la prise en charge d’un arrêt cardiaque fait perdre 90% de chances de survie à la victime, disent les experts.
Oui il devient impérieux que notre pays étoffe sa volonté politique en consacrant davantage de moyens et de rigueur à la formation des médecins et à la tenue des hôpitaux, car 5% du budget  ça parait encore de toute évidence insuffisant pour ne pas dire insignifiant pour contenir la faucheuse qui a fièrement élu domicile dans nos hôpitaux qui portent alors avec grand mérite, leur nom de mouroirs qui n’épargnent hélas même pas les GRANDS !

Et quand je pense  que même «les morgues, ultime sanctuaire avant la tombe, ne sont pas épargnées par le marasme de nos  hôpitaux… il ne me reste plus qu’à dire à nouveau paix à l’âme de Madame FONING qui en est sorti hier pour son ultime voyage. 

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