ENTERRONS
LES MORTS, SAUVONS DES VIES !
L’espérance de vie au sud du sahara se situe à moins de 50
ans. Cela est dû à n’en point douter,
aux guerres, épidémies, pandémies et autres catastrophes. Mais bien souvent,
tel un mauvais esprit dans un film d’horreur, la mort accueille à bras ouverts
ses victimes là elles trouvent ultime
refuge croyant illusoirement hélas ! lui échapper. De Yaoundé à
Gari Gombo en passant par Douala et Moulvoudaye,
l’hôpital public porte la stigmate devenue familière de « mouroir ».
A priori, décéder à l’hôpital n’a rien d’étrange, il est su de tous qu’il y a
des situations où la médecine reste impuissante. Mais trépasser faute de soins
urgents adéquats ou de soins tout court, voilà ce qui interroge, au moment où
nous proclamons fastueusement nos grandes réalisations et que nous enterrons
nos « grands » morts.
Le décès de la célèbre et trépignante femme politique et d’affaires Madame
FONING – paix à son âme- suite à un
accident de circulation à quelques kilomètres de Yaoundé le 17 janvier 2015 a
alimenté une controverse légitime sur la
négligence et l’incompétence médicales dont elle aurait fait l’objet en attente
d’évacuation. On se demande donc pourquoi, les « VIP » dans
notre pays, que dis-je ? les « VPP » entendez « very presidential
personnality », pour échapper à leurs propres hôpitaux dont ils vantent pourtant
la quantité et la qualité dans les discours politiques, s’offrent constamment
le privilège de l’ailleurs sanitaire. Ainsi, les annonces d’AVC ou d’autres
malaises de hautes personnalités gouvernementales ou politiques sont
généralement suivies de celles de leur évacuation vers des hôpitaux marocains
ou sud-africains, quand la destination n’est pas européenne. Sauf que cette
solution d’expatriation selon toute vraisemblance, non seulement elle permet de
détabouïser facilement et sans pudeur l’état de santé de certains Présidents
africains, mais également, reste largement tributaire pour les amis des présidents, de la prise en
charge médicale locale. Tenez, après Madame FONING, c’est le Général de
Gendarmerie MAMBOU DEFFO qui, dit-on, en
attente d’un avion médicalisé pour son évacuation succombe toujours en janvier 2015 à un AVC.
C’est à se demander si son départ aurait pu y changer grand-chose. Les
effets d’une prise en charge urgente
déficiente ne sont-ils pas dans bien des cas irréversibles ?
Ces débats autour des décès des
« gros bonnets » sont malheureusement l’arbre qui cache la forêt
densifiée d’histoires insupportables de personnes « ordinaires »,
anonymes, qui dans les hôpitaux du Cameroun, trouvent la mort par milliers au
quotidien parce que incapables d’accéder
aux soins médicaux de qualité.
Oui ! Le Cameroun fait le deuil d’une grande dame, mais
l’hôpital camerounais où celle-ci a trouvé la mort, est gravement malade…
Morceau choisi !
Le 25 décembre 2014 un
jeune cadre d’appui en recrutement dans une Université d’Etat, est assis à même
l’asphalte devant l’hôpital central de Yaoundé, le regard désespéré, pianotant
frénétiquement sur son téléphone, tentant de joindre quelqu’un qui pourrait lui
prêter 300 000 FCFA pour sauver son épouse et ses jumeaux. Il s’agit d’un
accouchement qui se complique et aux urgences, même le saignement abondant de
la jeune dame n’a pu résoudre le personnel médical à donner du sens au serment d’hypocrate. Ce
compatriote réussira des heures plus
tard à obtenir la somme requise pour la césarienne. Trop tard pour les jumeaux
primipares. Cette scène se déroule devrais-je le rappeler, dans un hôpital dit
« central » donc de référence, qui jouxte par ailleurs deux édifices
importants : un Centre mère et enfant portant le nom de la Première dame
du Cameroun-Chantal BIYA dont on dit
qu’elle se porte ces jours-ci comme un charme (vrai ou faux prions Dieu que ce
soit vrai) et un Centre national des
Urgences récemment inauguré et dont la fière allure physique contraste avec sa
dénomination inintelligible pour beaucoup, et son indigence technique. Car
souvent dans notre pays ce n’est pas un hôpital qui manque. D’ailleurs la
classification est fort séduisante. Elle est à cinq paliers: les hôpitaux de 1ère
catégorie que sont les hôpitaux généraux, ceux de 2ème catégorie que
sont les hôpitaux centraux, ceux de 3ème catégorie que sont les
hôpitaux régionaux et assimilés, ceux de 4ème catégorie que sont les
hôpitaux de district et ceux de 5ème catégorie que sont les centres
médicaux d’arrondissement auxquels il faut ajouter les centres de santé
intégrés disséminés en zone rurale.
Et le
personnel alors ?
Au Cameroun le
ratio professionnel de santé/population est de 0,63 pour 1000 habitants contre 2,3
qui est la norme internationale, tandis qu’on compte 1 médecin pour
15 000 habitants. Il n’ya point de
doute sur l’insuffisance du personnel dont la quantité présente encore de
réelles disparités avec les normes internationales. La justification se trouve
certainement dans la formation qui présente un déficit de quantité mais
également, et c’est le plus inquiétant, de qualité. Le nombre de médecins et
d’infirmiers sortis des Ecoles de médecine annuellement reste étrangement bas.
Cela est dû aux offres de formations encore limitées. Les rares Ecoles
existantes ne pouvant accueillir qu’un nombre restreint d’étudiants. Encore que
la sélection de ceux-ci fait l’objet dans certains cas de pratiques abjectes de
corruption et de monnayage. Phénomène plutôt généralisé dans les concours
publics au Cameroun, l’achat des places n’épargne évidemment pas le concours de
la faculté de Médecine et de Sciences Biomédicales dont le scandale ne tardera
pas à prendre le relai de celui encore retentissant de l’IRIC que même
l’affaire du photomontage et la phénoménale annonce de la maladie du Président ne nous font pas oublier. Fléau
qui, conjugué à la politique mystique d’équilibre régional, compromet
dangereusement le mérite dans un secteur aussi sensible, jetant un sérieux doute sur la compétence des
produits de cette Ecole.
Bien plus, l’ouverture de l’enseignement
supérieur au secteur privé depuis quelques années, a favorisé la création de
plusieurs instituts de médecine aux capacités de formation douteuses et à vocation
essentiellement mercantiliste, ce qui a
obligé il ya peu de temps, un écrémage par les autorités n’ayant laissé
subsisté que quelques-uns d’entre eux, répondant aux standards. Néanmoins ce contexte désastreux de formation
a sérieusement entamé dans notre pays, la crédibilité des personnels formés. A
un tel point que certains médecins déconseillent eux-mêmes certains de leurs
collègues aux patients, conscients de leur compétence ou incompétence réelle.
Du coup on ne compte plus le nombre de victimes de cette catastrophe organisée.
Cela justifie certainement en partie pourquoi les élites politiques et
administratives affichent cette propension à s’expatrier pour recevoir des
soins…Ne me soupçonnez surtout pas de vouloir parler du Président !
En un mot comme
en mille, les hôpitaux du Cameroun font face à des maux génériques :
manque d’écoute et de communication dans la relation soignant-malade,
recrutement inconséquent d’un personnel parfois non qualifié, mauvaise
organisation des soins et particulièrement des urgences, manque d’hygiène,
équipements défectueux, absence de certains médicaments essentiels au lit du
malade, limite de la maintenance hospitalière, absentéisme, retard, erreur
médicale etc.
Il
est certainement temps de susciter un débat qui permettra aux patients qui
fréquentent nos hôpitaux d’être bien accueillis, de bénéficier de l’écoute
nécessaire de la part d’un personnel au professionnalisme éprouvé et d’avoir
des soins de qualité. Sans quoi même des évacuations médicales offertes aux
privilégiés s’avèreront superfétatoires. Surtout dans un contexte où le
défibrillateur demeure un luxe. Or, 10
minutes de retard à la prise en charge d’un arrêt cardiaque fait perdre 90% de
chances de survie à la victime, disent les experts.
Oui il devient impérieux
que notre pays étoffe sa volonté politique en consacrant davantage de moyens et
de rigueur à la formation des médecins et à la tenue des hôpitaux, car 5% du
budget ça parait encore de toute
évidence insuffisant pour ne pas dire insignifiant pour contenir la faucheuse
qui a fièrement élu domicile dans nos hôpitaux qui portent alors avec grand
mérite, leur nom de mouroirs qui n’épargnent hélas même pas les GRANDS !
Et quand je pense que
même «les morgues, ultime sanctuaire avant la tombe, ne sont pas épargnées par
le marasme de nos hôpitaux… il ne me
reste plus qu’à dire à nouveau paix à l’âme de Madame FONING qui en est sorti
hier pour son ultime voyage.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire